Retiré du circuit depuis deux décennies, Mark Hollis, génial chanteur de TalkTalk et compositeur novateur, est mort à l’âge de 64 ans. Il laisse une empreinte indélébile dans un paysage musical qu’il a considérablement influencé depuis les années1980.
Ci-gît un génie. Aussi brutale qu’inattendue, la nouvelle du décès de Mark Hollis, survenu le lundi 25février2019, a plongé la planète pop dans le désarroi. Silencieux depuis1998, année de la parution de son unique (dans tous les sens du terme) album solo, l’ex-leader de TalkTalk est mort à l’âge de 64ans.
Parmi les premiers à réagir, Paul Webb, son ancien bassiste dans le groupe (qui vient d’ailleurs de réactiver son projet solo Rustin Man), a fait part de son immense chagrin: “Musicalement, c’était un génie et ce fut un honneur et un privilège d’avoir joué avec lui dans le groupe. Comme beaucoup de musiciens de notre génération, j’ai été profondément influencé par ses idées musicales novatrices. Il savait créer de la profondeur dans le son et dans l’espace mieux que quiconque.”
https://youtu.be/upyrWwstEMY
Un silence discographique tristement définitif
Souvent cité comme référence par des artistes aussi divers que Nils Frahm ou The Divine Comedy (qui reprit le tube programmatique Life’s What You Make It), Unkle ou Bashung, Get Well Soon ou Sébastien Schuller, Mark Hollis était devenu, au fil des décennies, le maître étalon du musicien à la fois explorateur et reclus, muré dans un silence discographique tristement définitif. Comme le soulignait Jean-Daniel Beauvallet dans sa chronique, l’été dernier: “Bien avant que l’on parle de la dématérialisation de la musique, Mark Hollis inventait la dématérialisation du musicien à la fin des années1980.”
https://youtu.be/4FdSWmzAhz4
Né le 4janvier1955 à Londres, Mark Hollis suit des études de psychologie de l’enfance à l’université du Sussex, avant de se consacrer à la composition en autodidacte. De retour à Londres en pleine révolution punk, il monte un groupe, The Reaction, qui sort un45t fougueux, I Can’t Resist, en1978. Après cette expérience éphémère, Mark Hollis s’entête et recrute de nouveaux partenaires, jugés plus sérieux et surtout plus doués: le claviériste Simon Brenner, le bassiste Paul Webb et le batteur Lee Harris.
Signé chez EMI sur une simple demo, Talk Talk publie en1982 TheParty’s Over, titre paradoxal pour un premier album. Imaginé par son label comme le successeur des néoromantiques Duran Duran, avec lesquels il partage l’affiche, le quatuor joue une synthpop déjà honorée par les charts, à l’instar du bien nommé single TalkTalk.
Un tourbillon hypnotique et déconcertant pour les thuriféraires des débuts
Simon Brenner parti, le producteur TimFriese-Greene le remplace au pied levé et signe la réalisation de It’s My Life (1984), porté par le single éponyme et l’énorme hit synthétique Such a Shame. Tournant le dos au son typiquement eighties de la new-wave, la bande de Mark Hollis voit grand pour l’album suivant, convoquant des instrumentistes à foison pour assouvir ses ambitions esthétiques. Amorce de la métamorphose, The Colour of Spring (1986) étire certains morceaux dans un tourbillon hypnotique et déconcertant pour les thuriféraires des débuts. La tournée qui suit, durant laquelle MarkHollis multiplie les excès éthyliques, est la dernière, laissant désormais TalkTalk improviser sans limite de temps.
Marié et père de famille, Mark Hollis imagine la suite de TalkTalk depuis la campagne du Suffolk, loin de la frénésie londonienne. Ecrit en binôme avec Tim Friese-Greene et inspiré par des musiques plurielles (le jazz, le post-rock de Can, des compositeurs du XXesiècle comme OlivierMessiaen ou GyörgyLigeti), Spirit of Eden (1988) achève la révolution artistique de TalkTalk à travers cette odyssée sonore d’une grande liberté formelle.
“Il ne reste qu’une seule chose importante sur mes disques, c’est le silence”, expliquait-il dans nos colonnes en1991, l’année de l’ultime Laughing Stock, autre pièce majeure qui parut chez Verve, prestigieux label de jazz.
“Je préfère encore entendre le silence qu’une note inutile”
“Je préfère encore entendre le silence qu’une note inutile, une note plutôt que deux. Ce qui compte, c’est la façon dont elle est jouée. La technologie, la technique, tout ça ne sert qu’à remplir. Donc à rien. La raison d’être de mes albums est la spontanéité. Voilà pourquoi il me faut des années pour les enregistrer.”
En janvier1998, Mark Hollis rompt septannées de silence avec un album miraculeux (Mark Hollis), qui perpétue la recherche spatiale et l’épure absolue des deux derniers TalkTalk. Ouvrant par The Colour of Spring, en clin d’œil à son ancienne formation, l’Anglais s’y entoure de treizemusiciens jouant avec la complexité du jazz. Psalmodiée ou murmurée, la voix céleste de Mark Hollis se fait encore plus extatique.
Réédité en2011, ce chef-d’œuvre contemplatif et incomparable reste sans lendemain. Aujourd’hui disparu, Mark Hollis laisse une œuvre discographique considérable dont l’évolution singulière (du sommet des hit-parades au mutisme depuis vingt-et-unans) n’a pas fini d’émerveiller et d’interroger. The Party’s Over.